vendredi 22 septembre 2017

"Naissance des cœurs de pierre" d'Antoine Dole

Chronique du blog Songes d'une Walkyrie


« L’espoir qui le portait l’a lâché. C’est le sentiment le plus fragile, face à la cruauté des hommes. Celui qui, dans un monde où rien ne peut changer, où rien ne s’ouvre à la lumière, devient le plus douloureux. L’espoir est d’une violence terrible, quand il est retourné contre soi. »

Dans le monde de Jeb, appelé simplement « Nouveau Monde », les émotions sont prohibées afin de protéger la population des conséquences néfastes qu’elles peuvent avoir eu sur la société de l' »Ancien Monde ». La communauté isolée et encerclée d’un mur infranchissable oblige ses enfants dès l’âge de douze ans à subir un entretien avec un « préparateur » qui juge s’ils sont prêts ou non à prendre le traitement. Jeb est profondément ancré dans ses émotions et ne réussi pas l’examen, il est alors envoyé dans un centre censé le recadrer et taire la plus infime de ses émotions. Tiraillement, souffrance, fatigue, harcèlement, malgré tout cela Jeb ne peut lutter contre ses sentiments.

Peu avant l’ère du « Nouveau Monde », Aude est une jeune fille de seize qui entre dans un nouveau lycée. Dès le premier jour, elle est prise en grippe par un groupe qui ne cessera dès lors de se moquer d’elle. A force de les fuir, elle trouve refuge dans un bâtiment en cours de travaux et y rencontre Mathieu, un surveillant. A force de rencontres, Aude et Mathieu se rapprochent et démarrent une relation amoureuse. L’adolescente va vivre passionnément ce premier amour qui va complètement transformer sa vie.

Deux histoires parallèles, deux histoires distinctes, l’une évoluant dans le " Nouveau Monde ", l’autre dans l' "Ancien Monde ", et pourtant étroitement liées avec un point commun la perte de l’innocence et de l’enfance, fortement empreinte de « destruction ». Un basculement de l’enfance vers un univers plus sombre et dévastateur.

On suit donc deux personnages, Jeb, d’un côté, un jeune garçon de douze ans amené par sa mère, Niline, vers l’extinction de son enfance et de ses émotions. Dans la société du Nouveau Monde, univers dystopique où tout est éteint pour ne plus sombrer dans les dérives émotionnelles, la colère, la haine qui ont mené aux guerres et à la destruction. Jeb est attachant et fort, on le sent lutter contre ces vagues de sentiments brutes qu’on lui a toujours appris à taire, une façade froide cachant un cœur chamboulé. Ce personnage, c’est aussi une relation filiale avec une mère dont il cherche le regard, les réactions, les onces ou prémices d’émotions, qu’elle tait à coup de cachets qu’elle surconsomme de plus en plus. On sent une certaine fragilité de la mère, qui malgré tout suit les lois de la société quitte à y sacrifier son enfant, cela suscite beaucoup de choses chez le lecteur, quelque part, on sent le personnage démuni et faible, de l’autre on ne peut comprendre ses réactions qui manquent profondément d’amour maternel, après tout la mère est censée protéger son enfant et non lui nuire. Niline, par manque de gestes et beaucoup d’actions, va orienter la perte de son fils.

« Les enfants ne savent pas s’ils doivent répondre ou se taire. Les mots ne sortiraient pas, de toute façon. Tous sont occupés à retenir leurs armes. La transformation ou la fin. Mais comment taire en soi toutes ces déflagrations de pensées et de sensations ? Comment est-ce qu’on s’y prend pour faire mourir autant de soi à l’intérieur quand on se sent si vivant ? »

De l’autre, on suit Aude, à travers ce personnage adolescent, on voit la pression parentale face à la réussite de son enfant, Aude est envoyée dans un lycée où elle ne connaît personne, séparée de ses amis afin de se concentrer sur ses études. Par ce geste égoïste, les parents vont surtout entraîner la déchéance de leur fille. Aude est une adolescente solitaire, qui sera exclue des autres et va donc perdre les relations amicales qui auraient pu l’ancrer dans une certaine réalité, à contrario, elle va dériver, et vivre sa relation avec Mathieu, un jeune homme, passionnément, allant à l’encontre de ses parents, leur mentir, s’opposer à eux, jusqu’à ce qu’un acte de trop conduise à des conséquences irréversibles et amène à un conflit inévitable. Cette histoire est assez dure car à y réfléchir, elle est très réaliste, en tant que parent, c’est même carrément flippant.

Le tout est franchement bien écrit, c’est même très addictif. L’alternance des deux points de vue rendent le récit d’autant plus dynamique et plus introspectif aussi. Le public visé, adolescent, devrait aisément se retrouver dans l’un ou l’autre des personnages, de manière modérée du moins, car les thèmes exploitées à travers ce récit sont très actuels mais aussi très durs, l’image de soi, le harcèlement scolaire, la pression parentale, la passion des premiers amours, le viol déguisé, les conséquences à travers l’histoire d’Aude, mais aussi l’ébullition des émotions et des sentiments qui ne demandent qu’à s’exprimer, que l’on tait ou que l’on ne sait comment gérer, le rapport filiale, l’oppression d’une société, la violence faite aux enfants à travers l’histoire de Jeb. Quant à la fin, elle est bien trouvée, certainement surprenante, elle n’est pas forcément facile mais elle est en tous cas satisfaisante.

En bref, un roman jeunesse qui porte en lui son lot de thématiques fortes, dures et sensibles, des sujets qui parleront forcément à vos adolescents, tout en les divertissant de deux histoires fragiles et difficiles, deux univers, deux personnages, pour une seule ligne directrice, les conséquences de nos actes sur l’innocence de l’enfance.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire