mardi 3 octobre 2017

"Une fille de..." de Jo Witek

Chronique du blog Dans la bibliothèque de Noukette


Inspirer. Expirer. Allonger les foulées. Sans but. Se vider la tête et ne plus penser à rien… Hanna court et se sent bien. Loin de son quotidien hors des clous, loin des remarques acerbes, loin des regards qui pèsent et jugent.

Avancer. Regarder droit devant. Écrire son avenir… Sur le bitume, Hanna existe pour ce qu’elle est et tente d’oublier son histoire qui lui colle à la peau. Hanna est la fille d’Olga, une prostituée Ukrainienne qui n’a pas eu la force de choisir un autre chemin. On a choisi pour elle. Hanna a compris par bribes, a surpris les bleus, a vu ses yeux de nuit qui souvent regardent ailleurs. Elle a imaginé, a tenté de comprendre. Et malgré tout, l’amour, une « presque » famille, un vrai cocon pour grandir. Mais la réalité est plus douloureuse, plus banale aussi. Et cette histoire, c’est aussi la sienne. L’entendre est peut-être la seule solution pour courir enfin vers son propre destin…

« Un instinct. Ma sauvagerie à moi. Courir pour gagner ma dignité. Courir pour me sentir unique sur terre. Courir pour exister. Me forger un moral de championne, un corps solide, musclé, entraîné. Un corps qu’on ne piétine pas. Qu’on n’avilit pas. Qu’on ne dompte pas. Courir pour que mon corps n’appartienne qu’à moi. Que mes désirs n’appartiennent qu’à moi. Courir pour marcher librement sans me soucier du regard des autres, sans dépendre du regard des autres, et surtout pas de celui des hommes. J’avais trouvé ma parade : courir, cacher ma vie privée, et étudier le plus possible sans me faire remarquer. Tel était mon salut. » 

Des textes d’un seul souffle, courts et percutants. La collection D’une seule voix est l’écrin parfait pour qu’éclate tout le talent de Jo Witek. Comme à son habitude, l’auteure ne triche pas. Elle dit la honte qui paralyse, l’amour inconditionnel, les blessures invisibles, celles qui ne se voient pas, celles qu’on tente de cacher. Elle dit l’horreur d’une société qui ferme les yeux sur la condition de ces femmes marchandises. Elle dit ces hommes qui détruisent, ceux qui payent, et fait enfin exister autrement ces femmes qui derrière leur métier restent des femmes et des mères. Elle dit la parole qui libère et le temps de la reconstruction, celui où l’on panse ses plaies d’enfant quand on finit par comprendre que l’on n’échappe pas à son histoire…

Impeccable de justesse, la voix de Jo Witek épouse à merveille celle d’Hanna, forte et courageuse. Un texte confession, brutal et bouleversant, qui ébranle et laisse sa marque…

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